Catalani le fantômas napolitain
Miracle de la santa Barbara
Capri c’est fini, chantait Hervé Vilard à la fin d’un été napolitain, retournons donc à Napoli, cité qui au crépuscule automnal a encore de nombreux secrets à révéler sur l’un de ses enfants, Vincenzo Catalani (1814-1870), père de La Prédication de Saint Paul à Athènes, œuvre monumentale en cours de restauration[1] à Rome, dont nous avions relaté la scandaleuse découverte[2] et les résultats des premières recherches en 2021 en cette même revue scientifique[3].
L’âme de Catalani ne nous quitte plus depuis cet épisode. Ce peintre au destin tumultueux qui finira par s’ôter la vie le 3 décembre 1870 (à la veille de la sainte Barbe) a installé durablement son œuvre et ses multiples énigmes dans notre viseur. D’autant que ses toiles nous parviennent pleines des présages de son destin. Aujourd’hui éparpillées, elles connaissent pour l’essentiel un sort funeste : oubliées, reléguées aux oubliettes de l’Histoire de l’Art. Comme leur auteur ?
Né à Rome en 1814, d’une famille napolitaine au service de Pie IX, c’est en sujet napolitain que Vincenzo Catalani se forme à L’École des Beaux-Arts de Naples puis intègre le Pensionnat de Rome dès 1838 sous la direction de Vincenzo Camuccini. Il reçoit de nombreuses commandes royales et pontificales, sa postérité ne témoigne néanmoins pas de cette carrière prolifique tant peu de toiles sont arrivées jusqu’à nous. Leur existence est toutefois attestée dans les documents d’archives. Ses œuvres, nombreuses donc, sont précipitées dans l’oubli suite au suicide du peintre qui advient dans la Rome Papale malmenée par l’Unification. L’ensemble de ses travaux connus aujourd’hui repose dans un mémoire écrit par mes soins et dirigé par le Professeur Massimo Moretti, présenté à l’Université de La Sapienza de Rome en mars 2022[4]. Une tentative alors de rassembler ce qui sinon gisait dans la dispersion et l’incertitude.
Ainsi, c’est continuellement de cette façon que cette œuvre ressurgit et refait surface : inopinément, avec la grâce des débutants, offertes aux visiteurs impromptus. Toutefois, n’en doutons plus : les preuves de la paternité de Vincenzo Catalani sur les toiles récemment exhumées (cf. La Prédication) sont formelles. Notons que ce fut déjà à Naples que la clef de cette précédente identification se trouvait : en la présence d’un autoportrait précédemment identifié[5] et qui, lui-même, permettait par son trait et bien sûr la physionomie exprimée de retrouver l’auteur Catalani se figurant çà et là (ainsi dans la foule de La Prédication de Saint Paul à Athènes).
Or c’est encore à Naples qu’un énième coup du sort dans cette quête inexorable vient s’abattre : le 26 octobre dernier, l’historienne de l’Art des Archives d’Etat de Naples, Angelica Lugli, visitant la collection privée du département régional des pompiers de Campanie, se retrouva devant une œuvre dont elle reconnut la praxis ; une Sainte Barbe dont le cartel signalait pourtant auteur inconnu. Le rôle d’Angelica Lugli dans les recherches autour de Catalani se confirme à nouveau comme déterminant ; elle dont l’implication remonte aux premières heures.
Un mois plus tard, profitant d’un bref séjour napolitain, je me suis à mon tour rendu au chevet de cette œuvre d’auteur prétendument inconnu mais dont Angelica Lugli avait déjà dessillé part du mystère : une Sainte Barbe de 3 mètres de haut pour 2 mètres de large. Imposante.
Cette toile relève du même style et des mêmes couleurs que celles employées dans La Prédication de Saint Paul à Athènes. Il n’y a, pour nous, plus de doute, il s’agit bien ici d’une œuvre précédemment évoquée dans mon mémoire sur le peintre mais jusqu’alors jamais retrouvée. L’œuvre de La Sainte Barbe était en effet mentionnée dans le guide de Gaetano Nobile “Descrizione della città di Napoli e delle sue vicinanze”[6]. Réalisée à Rome en 1853, admirée par le Saint Père, Pio IX[7] au cours de l’été de la même année. Elle siège dès 1855 à l’église Santa Maria Immacolata di Pietrarsa, détruite en 1912 sur ordre du roi Vittorio Emanuele III. À la suite de cet événement, nous perdons définitivement la trace du tableau jusqu’à son identification aujourd’hui.
Sainte Barbe, agenouillée au centre de l’œuvre, a le regard tourné vers les cieux d’où lui arrive la palme de son martyr, peu avant la conclusion de sa vie terrestre qui lui sera arrachée par décapitation. Nous retrouvons ici toute l’iconographie liée au martyre de cette Sainte : la tour et l’épée. Il est bon de préciser les ressemblances avec l’œuvre romaine de Catalani : le visage de la Sainte Barbe apparaît en bonne place dans La Prédication de Saint Paul à Athènes, tout comme ceux de ses deux bourreaux au premier plan. Le paysage architectural devant lequel se déploie cette scène tragique semble être les murs d’enceinte de l’Opificio di Pietrarsa à l’intérieur desquels l’église Santa Maria Immacolata était édifiée.
Athènes
Hasard du calendrier ou signe du Très Haut, c’est chez les Pompiers de Naples que la Sainte est aujourd’hui domiciliée[8], elle qui en est la figure tutélaire et protectrice depuis des siècles, et cela, à quelques jours de la Saint Barbe, célébrée par les hommes en rouge le 4 décembre.
Ringrazio il Vice Comandante Ing. Michele Maria La Veglia che cura la Galleria Storica dei Vigili del Fuoco, presso la Direzione Regionale di VVF della Campania, il Direttore Regionale Emanuele Franculli. Ringrazio anche Angelica Lugli, storica dell’arte presso l’Archivio di Stato di Napoli il cui occhio ci ha permesso ancora una volta di ricostruire parte dell’ Opera di Vincenzo Catalani.
[1] Restauration menée par l’Instituto Centrale per il Restauro à l’église Saint-Louis-des-Français de Rome depuis Mai 2024.
[2] L. DAVENAS, P-A. FERRACIN, Une toile retrouvée à Saint-Louis-des-Français. Partie I, “Storia dell’arte in tempo reale”, Anticipazioni e ricerche in corso, affacci sull’attualità , scoperte, nuove letture 2021-2022, 1, 2022, pp 21-32.
[3] P-A. FERRACIN, Une toile retrouvée à Saint-Louis-des-Français. Partie II, “Storia dell’arte in tempo reale”, Anticipazioni e ricerche in corso, affacci sull’attualità , scoperte, nuove letture 2021-2022, 1, 2022, pp 33-46.
[4] P-A. FERRACIN, Vincenzo Catalani e La Predicazione di San Paolo ad Atene, Tesi di Laurea Magistrale, La Sapienza Università di Roma, A.A.2020-2022.
[5] Vincenzo Catalani, Autoritratto, olio su carta incollata su tela, 21 x 16,5 cm, Napoli, Accademia di Belle Arti.
[6] Nobile, 1857, p.131.
[7] Archivio di Stato di Napoli, Ministero della Pubblica Istruzione, 480/7. Cette lettre prévient la couronne de Naples que Pio IX admire à plusieurs reprises une œuvre de Catalani dans ses appartements mais sans préciser s’il s’agit de La Prédication de Saint Paul à Athènes ou de La Sainte Barbe, le doute subsiste.
[8] Martirio di una Santa – Santa Barbara, Artista ignoto del XIX secolo, Napoli Ch. del Comando dei Vigili del Fuoco, Archivio fotografico della soprintendenza per i beni artistici e storici, scheda di catalogo, negativo n. 12937 M.