Une toile retrouvée à Saint-Louis-des Français. Partie II: Aventures napolitaines
Archives d’Etat de Naples 26 Mai – 15 Juin 2021
Mercredi 26 mai, cinq heures du matin. Le soleil commence légèrement à poindre au sommet du Vésuve et baigne de sa lumière toute la baie de Naples. La ville encore endormie se remet des feux d’artifices tirés la veille depuis les quartiers espagnols. Cette fois, le tonitruant ciao à l’ami du matin ne retentit pas.
Je suis le premier client à m’installer au Gran Caffè Gambrinus dans l’attente de la levée du mystère entourant la toile de Saint-Louis-des-Français. Missionné par l’ambassade de France près le Saint-Siège pour le compte des Pieux Établissements afin d’effectuer quatre jours de recherche, je m’en vais ce matin là en direction des Archives d’Etat le coeur battant sans savoir que l’aventure napolitaine durerait trois semaines.
Comme évoqué dans le premier article 1 Davenas Lili, Ferracin Pierre-Antoine, « Une toile retrouvée à Saint-Louis-des-français », Storia dell’arte Rivista, maggio 2021 publié en mai dernier, c’est la piste Catalani fondée sur un élément de l’inventaire de 1912 de Saint-Louis-des-Français qui m’a conduit dans la capitale du Royaume des Deux-Siciles 2 Je remercie pour leur aide et leur soutien les conservateurs de l’Institut national du patrimoine (INP) : Lili Davenas, Marion Blocquet, François Chevrollier et Philippe Sartori .
Les premiers pas aux archives de Naples sont intenses, le temps m’étant compté et ne sachant pas vraiment par où commencer mes recherches. A mon arrivée à Naples, je ne dispose que d’un nom n’évoquant rien à personne: « Catalani ». Heureusement une équipe d’archivistes, de conservateurs et d’historiens de l’art se forme dès les premiers jours et me vient en aide afin d’établir une stratégie de recherche dans les abondants fonds d’inventaires et d’archives des différentes institutions napolitaines3 Je remercie la directrice des Archives d’Etat de Naples Candida Carrino et ses collaborateurs Angelica Lugli, Ferdinando Salemme, Martina Magliacano et Gaetano Damiano ainsi que le directeur du Palais Royal de Naples Mario Epifani et son collaborateur Carmine Napoli, ainsi qu’au Professeur Renato Ruotolo, Docteur Tamajo Contarini du Musée Capodimonte, Lorenzo Caravaggi .
Dès le deuxième jour, les recherches s’étendent aux musées et institutions artistiques. Je suis reçu au Palais Royal où j’apprends que les dépôts du Palazzo Reale renferment deux œuvres d’un certain Vincenzo Catalani. L’accès aux toiles m’est accordé une semaine plus tard. Les deux toiles, ni datées ni signées, avaient été inventoriées par la Soprintendenza ai beni Ambientali e Architettonici di Napoli e Provincia dans les années 70. Elles me permettent d’effectuer une confrontation stylistique entre les œuvres du dépôt du Palais Royal et La Prédication de Saint Paul à Athènes retrouvée à Saint-Louis-des-Français de Rome.
La première œuvre, Il Profugo di Parga, huile sur toile de 265 x 184 cm, avait été inventoriée en 1907 puis 1970 comme faisant partie des collections du Palais Royal de Caserta.
Elle présente un style affirmé, mature se rapprochant plus de l’œuvre prêtée par le Musée Capodimonte à la Chambre des Députés à Rome, Episode du déluge universel 4 Episodio del diluvio universale, olio su tela cm. 300 x 378 c.c. inv. OA 132 Deposito Temporaneo, Roma, Camera dei Deputati dal 20 maggio 1999, Verbale n. 210/99 Ringrazio il dottore Lucio D’Orazio e la dottoressa Tamajo Contarini , huile sur toile, 300 x 378cm que de la deuxième œuvre du dépôt.
La seconde huile sur toile, Criton conseillant à Socrate de fuir de la prison, 250 x 300 cm, 5 Critone che consiglia Socrate di fuggire dal carcere Inv. 197/1874 e 187/1907 , inventoriée en 1874 et en 1907 au Palais Royal de Caserta est conservée autour d’un rouleau et ne m’a été présentée que sur photographie. En effet, bien que l’œuvre survécut aux nombreux bombardements qui frappèrent la Campanie puis fut ingénieusement recomposée, son état n’en demeure pas moins dégradé. Cette dernière dévoile de très grandes similitudes avec La Prédication de Saint Paul à Athènes sur le plan de la palette de couleurs utilisée mais aussi des lignes, du traitements des extrémités anatomiques et des drapés.
Ces premiers résultats si ténus soient-ils, m’autorisent à aller plus loin dans mes recherches.
Vincenzo Catalani – Vincenzo Catalano
Ces trois semaines de recherche à Naples m’ont permis d’établir partiellement la biographie de Vincenzo Catalani qui n’avait jamais été réalisée auparavant. Néanmoins, il faut souligner l’erreur orthographique du nom de famille sur plusieurs documents d’époque, qui mentionnaient un Vincenzo Catalano et non un Vincenzo Catalani, ce qui enveloppa de doute les premiers jours de recherche, puisque je ne savais plus si nous avions affaire à une ou deux personnes; doute réaffirmé quand fut découverte l’existence d’un autre Vincenzo Catalani mort en 1837.
Né à Rome le 24 avril 1814 et baptisé en la paroisse de Saint Marie des Martyres 6 Je remercie le Professeur Renato Ruotolo pour son implication et son soutien dans la recherche des éléments biographiques. Archivio storico dell’accademia di belle arti di Napoli (ASABAN), serie pensionato, faldone 1026, fascicolo del 1838 , Vincenzo Catalani est le cadet d’une fratrie de six frères et sœurs (Francesco, Luigi Antonio Adriano, Luigi, Luigia Maria Rosa e Paola). Son père Paolo, ingénieur napolitain, est envoyé à Rome au début du siècle pour le compte de la couronne des Deux-Siciles; Vincenzo est considéré comme sujet napolitain ce qui lui donne accès aux institutions du royaume 7 Ministero della Pubblica Istruzione (MPI) b. 489 / 47 .
De 1826 à 1837 il est formé au Reale Istituto di Belle Arti di Napoli où il remporte de nombreux prix. Dès mai 1835, il expose trois de ses œuvres au Reale Museo Borbonico, qui lui décerne la médaille d’argent de première classe pour la peinture puis la médaille d’or en 18378 Cfr. “Giornale del Regno delle Due Sicilie” e “Annali Civili” 1837 .
À l’âge de 24 ans, le 20 juin 1838, avec six autres étudiants de l’Institut des Beaux-Arts de Naples , il est reçu au concours général du Pensionnat des Beaux Arts Napolitains à Rome dans la section peinture en présentant le sujet suivant : Ulysse reconnu par le chien mourant en présence d’Eumée dans sa cabane 9 Ulisse riconosciuto dal cane moribondo in presenza di Eumeo nella sua capanna, MPI 499 / 47 . Le Pensionnat de Rome est jusqu’en 1844 dirigé par Vincenzo Camuccini, grand maître de la peinture académique napolitaine du XIXème dont l’influence artistique se retrouve dans l’œuvre du jeune Vincenzo Catalani. Le travail de ce dernier est à plusieurs reprises salué par la direction du Pensionnat et l’on mentionne ses travaux, notamment la copie collective de La Transfiguration de Raphaël où il effectua la figure de Saint André mais aussi un Christ en croix en 184010 MPI 499 / 73, 74 .
En 1843, déjà pensionnaire de Rome, il expose de nouveau au Reale Museo Borbonico une toile de grand format : l’Adieu des habitants de Parga à leur patrie, dont nous avons seulement retrouvé une description 11 L’estremo addio che gli abitanti di Parga danno alla loro patria : In diversi gruppi la desolata popolazione di Parga è già raccolta sulla spiaggia, chi si abbraccia alle piante, chi bacia la nativa terra che dee abbandonare, chi resta compenetrato dalle sventure che gli sovrastano, chi infine dissotterra le ossa desio maggiori, e rammentano quel che furono, si accinge a raccoglierle e portarle in più sicuro asilo. quadro ricco di figura. .
Cette œuvre de 1843 fait écho à celle conservée au dépôt du Palais Royal : Il Profugo di Parga, est peut être iconographiquement liée par un thème commun à La Prédication de Saint Paul : l’occupation de la Grèce par l’Empire ottoman en raison de la présence de six personnages enturbannés dont un portant le fez.
Dès 1848 il apparaît comme professeur honoraire de l’Institut Royal des Beaux-Arts. En 1855 et 1857, il figure à l’Almanach du Royaume des Deux-Siciles dans la liste des membres comme correspondant national de l’Académie Royale des Beaux-Arts, puis disparaît des fonds d’archives à partir de 1857. À ce jour nous n’avons pas retrouvé l’acte de décès.
De plus, une correspondance entre ministères du Royaume de Naples, sans rapport direct avec la toile de La Prédication de Saint Paul à Athènes me fit comprendre l’importance grandissante du peintre. En effet en mai 1855, le Surintendant général écrit au ministère des Affaires étrangères que le peintre Vincenzo Catalani a reçu une commande de la part de Sa Sainteté le Pape Pie IX afin de représenter la chute miraculeuse du Saint Père survenue le 12 avril de la même année lors d’une visite papale au couvent de Sainte-Agnès à Rome12 Real Maggiordomia Maggiore e Soprintendenza generale di Casa Reale Primo Ripartimento Anno 1855 – Espediente n°86 al n°96 . Cette commande artistique, qui à première vue n’entretient aucun lien avec notre toile est cependant la preuve d’un lien déjà bien établi entre le peintre et Pie IX qui peut remonter à un autre événement de l’été 1853…
Palais du Quirinale Juillet 1853
La première clef de lecture de tous ces documents tourne autour d’un événement qui s’est joué au Palais du Quirinale entre le 1er Juillet et le 14 juillet 1853 et met en lumière une toile de Vincenzo Catalani confrontée au regard de Sa Sainteté le pape Pie IX.
Le premier document d’importance mis à jour le 27 mai dernier mentionne une toile de Catalani pour l’église de Pietrarsa ayant reçu l’accord d’être exposée au Musée des Bourbons à Naples sans plus d’information13Lettre transmise à la direction del Reale Museo Borbonico le 18 Juillet 1853 : « Eccellenza -, La Maestà del Re N S Sovrana sua determinazione del 14 andante si è degnata permettere che sia esposte a pubblica mostra in una delle sale del Real Museo Borbonico il quadro eseguito d’ordine della M S dal pittore Vincenzo Catalani per allogarsi nella Chiesa di Pietrarsa. Nel Re Nome lo commino a V E perche si serva disporne lo adempimento. Napoli 15 Luglio 1853 ». Sede Centrale – MPI – Real museo borbonico e soprintendenza generale degli scavi – Busta 351, fase 34 :
« Excellence, la Majesté du Roi a souverainement décidé, le 14 de ce mois, de permettre que le tableau de Vincenzo Catalani, commandé par Sa Majesté pour être placé dans l’église de Pietrarsa, soit exposé dans une des salles du Musée royal de Bourbon. Au nom du Roi, j’ordonne à Votre Excellence d’en assurer l’accomplissement. Naples 15 juillet 1853 ».
Exactement 10 jours après la découverte du premier document, je découvre un feuillet mentionnant un tableau effectué pour l’église de Pietrarsa par Vincenzo Catalani. Ce document daté du 15 juillet 1853, traite et résume le contenu d’une autre lettre envoyée au Palais Royal de Gaeta le 12 juillet de la même année et est étroitement lié à la première lettre :
« Le peintre Vincenzo Catalani expose avec dévotion à Votre Majesté qu’il a terminé le tableau pour l’église de Pietrarsa commandé par Votre Majesté. Cette œuvre, exposée à Rome et ayant mérité de nombreux éloges, a suscité dans le cœur du Très Saint Père le désir de la voir dans son appartement. Le tableau est resté là pendant trois jours et Sa Sainteté a eu le plaisir de le voir quatre fois et toujours avec plus de satisfaction. Le suppliant maintenant en humiliant son œuvre aux pieds de Votre Majesté demande la grâce de la voir exposée au public au Musée Royal Bourbon avant d’être envoyé à sa destination… »14 « Il Pittore Vincenzo Catalani espone devotamente alla Maestà Vostra come egli ha terminato il quadro da colorarsi nella Chiesa di Pietrarsa ordinatogli dalla Maestà Vostra. questa opera esposta in Roma avendo meritato molti encomi ha fatto nascere nel cuore del Beatissimo Santo Padre il desiderio di volley vedere nel suo appartamento. Quivi il quadro è rimasto per tre giorni ove Sua Santità (D.G) si è compiaciuta vederlo per ben quattro volte e sempre con maggiore soddisfazione. Il supplicante ora nell’umiliare questo suo lavoro ai piedi della Maestà vostra chiede la grazia perche il medesimo sia esposto al pubblico nel Real Museo Borbonico prima di essere collocato alla sua destinazione, Tanto spera e l’avrà a grazia singolare… »
En somme, cette lettre nous apprend que le grand tableau du peintre Catalani commandé par Sa Majesté remporte un franc succès à Rome lors d’une exposition que nous supposons s’être déroulée au Pensionnat des Beaux-Arts Napolitain de Rome. L’aura artistique exceptionnelle du tableau parvient jusqu’au Pape et le Saint Père en personne demande à ce que l’œuvre soit exposée dans ses appartements au Palais du Quirinale. Trois jours durant, le Saint Père l’admire au moins à quatre reprises et avec toujours plus de satisfaction. Cet épisode m’a permis de construire une hypothèse autour de l’événement, hypothèse qui identifierait bien évidemment la toile découverte à Saint-Louis-des-Français quelques mois auparavant comme celle admirée par Sa Sainteté le pape Pie IX en juillet 1853.
En effet comme indiqué dans le précédent article, le seul document retrouvé aux Archives des Pieux Établissements mentionnant la présence de cette toile était l’inventaire de 1912 de Saint-Louis-des-Français, spécifiant une commande royale effectuée par François II pour une église de Naples. Écrit une cinquantaine d’années après les faits, nous pouvons concéder à ses auteurs des lacunes et erreurs factuelles. Ici l’église de Naples devient l’église de Pietrarsa, et François II cède la place à son père, Ferdinand II, souverain du royaume des Deux-Siciles jusqu’en 1859.
L’église de Pietrarsa
Dans les années 1840, Ferdinand II décide d’ériger non loin des champs phlégréens un complexe industriel « l’Opificio meccanico pirotecnico di Pietrarsa » afin d’y faire construire des locomotives et du matériel militaire destinés aux armées du Royaume à terre comme en mer. Le même souverain ordonne la construction d’une église au sein du complexe, Santa Maria Immacolata ouverte au culte en 1853, c’est à dire la même année que l’exposition de la toile de Catalani à Rome. L’église offrait une capacité d’environ 1000 personnes pour des dimensions de 45 mètres de long sur 15 mètres de large et était dotée d’un riche patrimoine artistique et de « nombreux tableaux représentant des Saints ». À la suite de la consultation d’un blog amateur qui m’a procuré les informations ci-dessus 15
Gamboni Antonio, Pietrarsa antico opificio borbonico 1840-1860, 21 décembre 2021 http://www.clamfer.it/02_Ferrovie/PietrarsaBorbone/PietrarsaBorbone.htm
, je tente de mettre la main sur l’inventaire du mobilier artistique de l’église de Santa Maria Immacolata, en vain. Les Archives du diocèse de Naples m’assurent à plusieurs reprises ne pas détenir dans leurs fonds ce genre de document et laissent entendre que le document aurait pu disparaître tout comme l’église détruite en 1912. En remontant à la source bibliographique de l’article publié sur le blog, je parviens à l’ouvrage écrit en 1857 par Gaetano Nobile, Descrizione della Città di Napoli, delle sue vicinanze divisa in XXX giornate16 Nobile Gaetano, Descrizione della Città di Napoli, delle sue vicinanze divisa in XXX giornate, Napoli, 1857. , qui décrit avec précision le complexe industriel pyrotechnique de Pietrarsa et son église. Les informations suivantes figurent à la page 130 du volume : l’église présente une façade de style XVIe siècle, comprenant une nef unique de pilastres et chapiteaux d’ordre ionique et accueille « il S. Francesco di Battista Santoro, del 1853; San Ferdinando è lavoro di Vincenzo di Angelis e la S. Barbara è del pennello di Vincenzo Catalano ».
Les lettres du 15 et 18 juillet 185317 MPI 351/19 et MPI 480/7 , citées plus haut, mentionnent bien l’église de Pietrarsa comme devant recevoir l’œuvre de Vincenzo Catalani achevée à Rome quelques mois plus tôt, mais devant être exposée au musée des Bourbons de Naples avant son transfert définitif dans cette église.
Néanmoins, au verso de la lettre du 12 juillet 185318 MPI 480/7 , il est inscrit au crayon à papier : “ Catalani, quadro di Pietrarsa. Vorrebbe farlo esporre in Pubblico al Museo Borbonico ”. L’usage du conditionnel peut nous amener à penser que ce projet d’exposition de la toile à Naples ne fut jamais réalisé et que peut-être cette dernière ne quitta jamais la ville éternelle…
Sainte Barbe et Saint Paul
A première vue mon hypothèse s’effondre puisque, selon le livre de Gaetano Nobile, l’œuvre décorant l’église de Pietrarsa est bien de Vincenzo Catalani mais représente Sainte Barbe et non Saint Paul.
La représentation de Sainte Barbe par Catalani manquante à ce jour devait probablement se rapprocher de l’iconographie traditionnelle de la sainte martyre du IV siècle; le plus souvent représentée comme une jeune femme en pied à coté d’une tour et portant la palme des martyres. Elle est la sainte patronne des sapeurs, des canonniers, artificiers, des ingénieurs de combat et des métallurgistes. Sa localisation dans l’église du complexe pyrotechnique de Pietrarsa prend donc tout son sens.
Il m’est en effet difficile de croire qu’une Sainte Barbe, si belle soit-elle, ait pu attirer l’attention du Souverain Pontife jusqu’à prendre une place de choix dans ses appartements pendant trois jours. De plus Gaetano Nobile ajoute que les œuvres conservées en l’église de Pietrarsa n’avaient rien d’extraordinaire « Le quali sebbene fossero mediocri pitture, danno nondimeno buono argomento di lavoro degli artifici napoletani ».
Saint Paul, Saul de Tarse, apôtre des Nations, infatigable prédicateur, tout comme Saint Pierre, père fondateur de l’Eglise, a été peint et représenté par les plus grands artistes que l’histoire de l’art a pu compter.
Remettons nous dans le contexte historique de l’été romain 1853. Selon un article del Giornale di Roma19 Je remercie le Professeur Alessandra Acconci de la Surintendance Spéciale de Rome. MFP. 712/20 Biblioteca Nazionale Centrale di Roma , le 17 Juin 1853 au matin l’artillerie du château Saint-Ange tire des salves d’honneur à l’occasion du huitième anniversaire de l’avènement au trône pontifical du Pape Pie IX. Douze jours plus tard, la capitale pontificale fête en grande pompe les saints patrons Pierre et Paul sous la direction de Pie IX avant que ce dernier quitte ses appartements du Vatican pour séjourner au Palais du Quirinale, toujours selon il Giornale di Roma20 MFP. 712/20 Biblioteca Nazionale Centrale di Roma consulté à la Biblioteca Nazionale Centrale di Roma.
Rome est en fête et l’effervescence artistique est à son comble, plusieurs grandes expositions ont lieu en cette période, au Pensionnat des Beaux Arts Napolitain mais aussi à l’Accademia San Luca qui expose les œuvres du grand concours Capitolino Balestra jusqu’au 2 juillet, toujours selon Il Giornale di Roma.
C’est dans ce contexte que l’œuvre de Vincenzo Catalani est dévoilée. Mais de quelle œuvre parle-t-on ?
Nous pouvons imaginer que Vincenzo Catalani présente son œuvre commandée par le roi Ferdinand II au public romain. Œuvre qui au-delà de la figure clef de Saint Paul, rappelle aux spectateurs un événement contemporain. C’est entre le 1er et le 14 juillet 1853 que cette toile fait son entrée dans les appartements du souverain pontife. Le Saint Père aurait-il fait acheminer cette toile dans ses appartements si cette dernière représentait une traditionnelle et médiocre (selon Gaetano Nobile) Sainte Barbe n’ayant aucun rapport avec les événements estivaux contemporains ?
Le Pensionnat des Beaux-Arts Napolitain et le Palais Farnèse
Si le tableau présenté au Pape Pie IX en juillet 1853 est bien La Prédication de Saint Paul, comment expliquer qu’il se soit retrouvé dans les combles de Saint-Louis-des-Français?
Mon attention se tourne donc vers le lieu du Pensionnat napolitain à Rome dans lequel j’émets l’hypothèse que la toile de La Prédication de Saint Paul fut réalisée et exposée.
En 1731, à la mort du Duc Antoine Farnèse s’éteint la branche masculine des Farnèse. Ce dernier rédige son testament en faveur de Don Carlos de Bourbon, Infant d’Espagne qui monte sur le trône des Deux-Siciles sous le nom de Charles VII. À la mort de Charles VII en 1788, Ferdinand IV lui succède et par la suite on retient que les biens Farnèse appartiennent à la couronne de Naples. Les biens à Rome comprenaient le Palais Farnèse, la Villa Farnesina et la Villa Madame ainsi que toutes les dépendances autour de ces trois lieux symboliques du pouvoir Farnèse.
Le Pensionnat de Rome au Palazzo Farnese devient en 1825 le haut lieu institutionnel voulu par le Royaume de Naples afin de perfectionner les meilleurs élèves de l’Institut Royal des Beaux-Arts. En 1825, est publié un décret de François I des Deux-Siciles stipulant que le Palais accueillera chaque année au mois d’octobre l’exposition des Pensionnaires. Le pensionnat investit également plus tard la Villa Farnesina.
Le Royaume des Deux-Siciles s’effondre à l’arrivée de Garibaldi en 1861 à Naples. François II, souverain en exil, trouve refuge à Rome sous la protection de Pie IX avec lequel son père entretenait d’étroites relations diplomatiques et amicales.
En 1874, il loue une partie de sa résidence du Palais Farnèse au Gouvernement français afin d’y accueillir l’ambassade. En 1904, les descendants et héritiers de François II, le Prince Don Alphonse de Bourbon, comte de Caserta et Marie-Thérèse de Bourbon, princesse héréditaire de Hohenzollern acceptent de vendre le Palais Farnèse, la Villa Madame et leurs dépendances à la France pour 3 millions de francs. Ces deux événements ont permis de dresser des inventaires du mobilier du Palais.
Par chance, les Archives d’Etat de Naples conservent dans leurs fonds plusieurs inventaires du Palais Farnèse et une grande partie de la correspondance entre les héritiers et l’Etat français au sujet des différentes tractations de la vente à la France.
Sans grande surprise, selon l’inventaire de 1895, le Palais renfermait dans ses combles et dans certaines de ses salles, des toiles des anciens pensionnaires de la feue Académie Napolitaine des Beaux-Arts à Rome : Tela ad olio dipinta ed altre tele preparate in cattivo stato degli antichi Pensionati di Belli Arti21 Sede Centrale Real Casa di Borbone 44 – Inventari e notammente diversi dei mobili, oggetti etc. depositati a Roma 1895. Inventaire signé le 5 juillet 1895 par le Cavalier Francesco Remer et approuvé par le Duc San Martino di Mantulbo pagina 17 – Soffitta 13, 317 .
La suite est claire, le Palais Farnèse ayant été cédé à la France, le contrat de vente stipulait que les vendeurs avaient devant eux 6 mois à partir de la signature du contrat pour vider les propriétés de tous leurs biens mobiliers. Nous pouvons penser que La Prédication de Saint Paul faisait partie des toiles des anciens pensionnaires datant du XIXème siècle citées dans les inventaires successifs. Leur facture académique n’étant plus au goût du jour, elles furent abandonnées au Farnèse, devenant ainsi propriétés de la France. La toile entreposée à Saint-Louis-des-Français aurait donc pu y être déposée du fait de son sujet religieux et inscrite en 1912 sur l’inventaire du mobilier de notre église nationale comme œuvre en « dépôt » pour finalement retomber dans l’oubli puis ressurgir à plusieurs reprises depuis le début des années 2000.
À ce jour, la consultation des livres de comptes (Registro delle Liberanze) de la maison des Bourbons des années 1849 à 1853 n’a pas permis d’identifier de paiement ni de mention du nom de Vincenzo Catalani. Cette piste de recherche serait longue et fastidieuse à poursuivre étant donné la quantité des registres de comptes du Royaume des Deux-Siciles et demanderait beaucoup plus de temps afin de trouver un argument probant.
D’autres pistes de recherche peuvent être envisagées, notamment la consultation des registres de douane : la toile étant un produit importé du Nord de l’Europe, elle a dû transiter par le port de Fiumicino et y être déclarée avant d’arriver à Rome.
Retour à Rome
Les investigations se tournent donc de nouveau vers Rome, aux Archives Vaticanes, qui renferment le fonds de Pie IX. En effet, il est difficilement concevable de penser que La Prédication de Saint Paul de Catalani, toile de 6,64 m de long, ait pu entrer dans l’un des Palais les plus sécurisés d’Europe sans en avoir laissé de traces dans les registres administratifs du Quirinale. De plus, cet événement artistique d’importance certaine ayant provoqué chez le souverain Pontife le désir de voir cette toile dans ses appartements et ce à plusieurs reprises, n’a pu être négligé d’être mentionné par ses secrétaires dans le journal personnel du pape.
Au regard du manque d’informations précises sur l’origine de La Prédication de Saint Paul à Athènes de Vincenzo Catalani, ces conclusions restent provisoires et doivent demeurer, en l’état de mes recherches, des hypothèses de travail.
À Pietro R.
Je remercie les institutions et particuliers qui ont rendu possibles ces semaines de recherche à Naples par leur soutien et leur accueil : Le Service des Travaux et Bâtiments français en Italie (STBI), l’Ambassade de France près le Saint-Siège, les Pieux Établissements de France à Rome et à Lorette, le Consulat Général de France à Naples, la Chambre des Députés de Rome, le Palais Royal de Naples, Brett L. et Teresa M.